Le Doudeauville – Chez Arsène

La boutique m’avait intriguée: toujours fermée, les rideaux de dentelle tirés, une vitrine peuplée de bibelots colorés… Enfin, un samedi soir: la porte est entrouverte, les lumières sont allumées, les tabes sont occupées, et des gens rient. Nous sommes deux, on pousse la porte. On se sent presque gênés. Il se dégage une telle convivialité, qu’on a l’impression de déranger un repas entre amis. Il est déjà tard, on a déjà mangé, on demande si on peut juste boire un verre, parce que Chez Arsèné Arsene c’est un restaurant créolé. «bah oui». on se met au bar, on observe le décor fait de bric et de broc, on regarde avec envie les assiettes, ca sent bon. Un serveur vient d’apporter des bananes flambées, les flammes provoquent des cris admiratifs. On commande des rhums arrangés. C’est le patron Arsèné qui nous sert. On parle un peu, il n’est ouvert que le samedi et le vendredi soir «oui, sinon on a pas de vie…». Il remplit nos verres avec une dose, deux doses, TROIS doses de rhum pur pour diluer le sirop arrangé… (Avec deux comme ça, y a plus qu’à rentrer se coucher).
Rien à dire: c’est bon.
Arsene vogue entre le bar, la cuisine, les tables. tantôt râlant, tantôt riant. Le voilà qui s’installe, une bouteille de champagne à la main, aux côtés de deux clients. les coupes se remplissent et se vident à grande vitesse. «Arsèné! des bananes flambées!». hop, il engloutit ses dernières bulles, ramasse deux bananes bien mures dans le panier à fruits qui trone au centre de la salle et rejoint la cuisine…
j’ai su en partant que je reviendrais.
revenue, plusieurs fois, j’ai pu gouter tous les rhums arrangés (citron, ananas, raisins, pruneau et gingembre). et toujours je me suis sentie ici dépaysée, un peu comme si je me retrouvais devant un grand feu de cheminée tard dans la soirée, apres un bon diner, dans une maison perdue dans la campagne.
Je reserve une étoile pour le jour où j’aurais goûté la fameuse assiette de boudins antillais et le colombo de cabri.

Chez Arsèné n’est pas un lieu où l’on va par hasard. On peut passer devant en se demandant ce qui se trame derrière ses grandes vitrines protégées par des petits rideaux élimés. On peut se mettre sur la pointe des pieds pour observer l’intérieur. Mais on né saura jamais vraiment ce que s’y passé, si on en a pas poussé la porte.
Et il faut vouloir aller chez Arsèné pour en pousser la porte, et combien même, il faudra la pousser fort, très fort. Une fois dedans, et vous né serez pas seul puisque Arsèné n’ouvre son restaurant que quand il a un groupe qui réserve, donc à vous de réunir les quelques personnes avec lesquels vous voulez partager l’expérience, vous déconnecterez (à cette occasion, mieux vaut éteindre les portables, leur utilisation vous apparaîtrait anachronique). Et la soirée se déroulera au rythme d’Arsèné, qui s’activera en cuisine et derrière le bar pour vous choyer, et vous raconter des histoires si vous êtes demandeur. Et même si la nourriture n’est pas ce qu’il y a de plus fin, quand arriveront les amis d’Arsèné en fin de soirée, épatés de voir de la lumière et reconnaissant que vous ayez fait ouvrir ses portes au maître des lieux, le rhum coulera à flot. Alors vous sentirez battre dans vos tempes la pulsation palpitante du voyage et du dépaysement.